La destruction du service public semble être une des nombreuses mesures néo-libérales que semblent vouloir mettre en place nos politiiciens européens. Pour illustrer un peu le débat, voici un exemple de retour d'un service privé au public :
Patrick Coupechoux a écrit:Lorsque la question s'est posée, en 1990, de confier la gestion de l'eau de sa ville à une compagnie privée, M. Jacques Drapier n'y a pas vu d'inconvénients. L'année précédente, il avait été élu maire socialiste de Neufchâteau, une jolie bourgade de 8 500 habitants dans les Vosges, et, à cette époque, ce genre de décision était très courant. Depuis une vingtaine d'années, en France, les maires ont choisi massivement la « délégation », en se disant que, finalement, ce serait un souci de moins et que l'affaire serait aux mains de professionnels.
La gestion de l'eau de Neufchâteau a donc été confiée à un délégataire privé, la Compagnie de l'eau et de l'ozone (CEO), filiale de Veolia, exVivendi, ex-Compagnie générale des eaux. Mais les choses, qui avaient bien commencé (le contrat avait été signé pour quinze ans), se gâtent vite lorsque M. Drapier se rend compte, vers 1992, que le tarif a tendance à augmenter. «Je n'ai pas pu obtenir la moindre explication, commente-t-il. La seule chose que me proposait la compagnie, c'était de ,ne rendre à son siège, à Metz, afin d'en savoir un peu plus, ce qui m'a quelque peu irrité... » Devant l'impossibilité d'obtenir ce qu'il demande, le maire se décide à faire réaliser une étude sur le prix de l'eau, qu'il confie à un consultant indépendant, ancien bras droit de M. Jérôme Monod lorsque celui-ci était à la tête de la Lyonnaise des eaux, avant de devenir l'éminence grise de M. Jacques Chirac à i'Elysée. L'eau aurait dû coûter 2,90 euros le m3 (19 francs à l'époque), alors que la compagnie la facturait 3,65 euros (24 francs) (1),
M. Drapier commence alors à envisager le retour en régie publique. Mais la compagnie multiplie les pressions. « Lorsqu'ils sont venus pour me proposer de participer à un colloque à Madrid, avec une personne de mon choix, tous frais payés, je me suis senti outragé. » Après les élections municipales de 2001, le contrat est donc résilié et une nouvelle régie voit le jour... Ce changement n'a pas été trop difficile. La ville a trouvé les compétences nécessaires - le gros du personnel de la compagnie a accepté de rester dans la nouvelle régie. Cette dernière, autonome, gère son propre budget. M. Dominique Barret, adjoint au maire et président du conseil d'administration, fait un premier bilan : « Depuis 2001, la régie a engagé pour 1,5 million d'euros de travaux pris sur les bénéfices qu'elle a déjà réalisés, puisque ceux-ci retournent désormais à l'eau. Mieux : elle a engagé la construction d'une nouvelle station d'épuration pour la fin de 2005. » Et la consommation a baissé de 22 %, du fait de la réduction des fuites.
Mais le plus convaincant concerne les prix : sur la base d'une consommation annuelle de 120 m3, le tarif était de 3,09 euros le m3 en 1995, de 3,84 euros en 2000 et de 2,92 euros en 2004... Quant au maire, on ne lui propose plus de se rendre à Metz pour consulter un bilan illisible. Pourtant, ce qui le surprend le plus dans cette affaire, c'est la réaction des élus des autres communes : «Au départ ils étaient sceptiques. Tu ne vas jamais y arriver, me disaient-ils, tu prends des risques ! Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui viennent ici pour voir comment cela marche... » M. Drapier a brisé un tabou : l'impossibilité d'échapper aux griffes des puissantes multinationales...
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(1)Une étude de l'Institut français de l'environnement de mai 2001 portant sur 5000 communes montrent que la gestion privée se traduit par un sur-coût de 27 % pour la distribution d'eau potable et de 20 % pour l'assainissemenl.
Article scanné (+OCR) du Monde Diplomatique de Mars 2005